2014-12-31 19:06:14
Par Jacques Sapir
Ainsi le veut la Constitution : il y aura des élections anticipées en Grèce, qui devraient se tenir le 25 janvier.
L’incapacité du Premier-Ministre Samaras à faire élire son candidat à la Présidence de la République (qui se fait en Grèce à une majorité qualifiée de 180 députés au parlement) a sonné l’heure des comptes.
Elle vient aussi solder une politique inhumaine imposé par ce même Samaras aux ordres de la « Troïka », soit, rappelons le la Banque Centrale européenne, la Commission Européenne et le FMI. Elle solde de plus une politique des faux-semblants de ce gouvernement aux ordres, qui n’a ni rétabli les finances publiques (une partie des ressources fiscales sont « fictives » car la population n’a plus les moyens de les payer) ni provoqué un retour de la croissance. Il annonçait un « glorieux » 0,7% alors que le pays a connu une récession de près de -25% depuis 2009.
Ces élections sont un cas d’école de l’ingérence toujours plus pesante de l’Union européenne dans la vie démocratique des peuples. Diverses voix autorisées ont déjà menacé les électeurs grecs des pires maux s’ils votaient « mal ». Et, on le sait, SYRIZA, le parti de la gauche radicale, est en tête à ces élections. On a même vu, oh honte faite à tous les français, Pierre Moscovici, qui fut un déplorable ministre des finances se muer en un exécrable représentant de la Commission Européenne et aller à Athènes pour expliquer aux Grecs comment ils devaient voter. Il est vrai que c’est une habitude chez ce triste sire que de mentir sur commande ; il nous en avait donné la preuve déjà en 2012. Le FMI, par ailleurs a immédiatement suspendu son programme d’aide à la Grèce. Que l’on ne vienne plus nous parler de « démocratie » de la part des grandes organisations, soit européennes, soit internationales.
La situation de la Grèce peut se résumer en deux graphiques. Le premier indique l’évolution du PIB, comparé à 2007. L’effondrement du PIB est réellement spectaculaire et implique un appauvrissement d’une grande part de la population.
Graphique 1
Source : Base de données du FMI
Mais il y a pire. Si l’on regarde l’investissement, que ce soit calculé en pourcentage du PIB ou calculé en euros constants, on constate un effondrement spectaculaire. En valeur, nous sommes en 2014 à 64% de la valeur des investissements de 1999. Cet effondrement, qui va bien au-delà d’une correction par rapport aux années 2000, marquée par les dépenses liées aux Jeux Olympiques, a plusieurs implications. Tout d’abord une destruction du capital par non-renouvellement, qui va poser un problème redoutable à la Grèce dans les années à venir. Faute d’entretien les infrastructures, qu’elles soient privées ou publiques, vont se dégrader ce qui va entraîner une montée des coûts d’entretien d’ici la fin de la décennie. Par ailleurs, la productivité du travail, non soutenue par un investissement qui fait défaut, va continuer à baisser, rendant plus que problématique le retour à une compétitivité de l’économie grecque. Seule, une baisse des salaires ou une dévaluation permettrait de maintenir les gains de productivité qui ont été payés aux prix fort par la population grecque.
Graphique 2
Source : banse de données du FMI
On voit qu’à l’évidence ce n’est pas d’un prolongement de la politique d’austérité meurtrière (ou, l’austérité tue, le taux de mortalité a fortement augmenté en Grèce ces dernières années) dont le pays a besoin. Il lui faut d’urgence une politique de relance par l’engagement massifs de dépenses publiques. Mais, c’est ici que se noue le conflit entre un possible gouvernement de SYRIZA et les autorités de la Troïka. Le programme de SYRIZA, que les sondages donnent actuellement largement en tête, prévoit entre autres les mesures suivantes :
•Moratoire sur les dettes des ménages et des petits entrepreneurs aux banques ;
•Hausse du salaire minimum ;
•Annulation de près des deux tiers de la dette publique considérée comme « injuste ».
•Instauration d’une « clause de développement » garantissant que les sommes dépensées pour une relance de l’économie ne seront pas comptabilisées dans le budget.
•Recapitalisation des banques (dont la solvabilité est problématique), sans que les sommes en question soient comptabilisées dans la dette publique du pays.
Ce programme est contradictoire avec les règles européennes. Il ne faut pas s’en étonner. Aujourd’hui, 52% des grecs interrogés considèrent qu’ils se sentent plutôt étrangers aux idéaux européens[1]. Dans ce sondage, réalisé par l’institut Gallup International, 52% des personnes interrogées considèrent qu’il serait préférable de retourner à la monnaie nationale (la Drachme) et seulement 32% considèrent qu’il faudrait conserver l’Euro. C’est un point important, et il est clair que les résultats de ce sondage sont intégrés par les diverses forces politiques grecques. Il entrainera une dynamique tant économique que politique mettant à mal les structures européennes qui imposent aux peuples cette politique d’austérité, et en premier lieu, l’Euro. Car, si l’on va à la crise entre la Grèce et les institutions européennes, les taux d’intérêts monteront immédiatement, provoquant une nouvelle crise en Italie. Or, dans ce pays, trois partis, le Movimente Cinque Stelle, Forza Italia et la Ligue du Nord ont pris leur distance, et parfois de très grandes distances, avec le dogme de l’Euro. SYRIZA le sait qui, tenant compte des pressions scandaleuses sur la vie politique grecque par les institutions européennes, ruse avec ce programme. Mais, si Tsypras est élu, fort de la légitimité d’une élection, seule légitimité qui compte et qui soit, il fera entendre sa voix.
Tous les européens qui sont aujourd’hui révoltés à juste titre, tant économiquement que politiquement, par les agissements anti-démocratiques de la Commission et par les politiques d’austérité doivent se réjouir de cette élection. La chouette, animal emblématique d’Athéna, la déesse de la ruse et de la sagesse, doit manger le serpent Euro. Mais ils doivent, en même temps, envoyer un message clair à Tsypras et à SYRIZA : vous devez appliquer votre programme si vous êtes élus. Une trahison de plus serait une trahison de trop. Nous comprenons que vous rusiez jusqu’à l’élection. Mais après, il faudra appliquer votre programme, et tout votre programme. Ce qui se joue en Grèce aura des répercussions dans toute l’Europe, et en France en particulier. Elles peuvent être positives, si la lutte s’engage entre les peuples et les institutions européennes. Elles peuvent être aussi négatives dans le cas d’une nouvelle trahison. Car, ce qui se profile derrière la Grèce, c’est le problème de l’Italie et de l’Espagne. Oui, l’avenir de l’Europe et de la démocratie se jouera à Athènes, ce qui sera hautement symbolique.
[1] Gallup International
http://www.orbinternational.com/perch/resources/europeanattitudesresults.pdf, Décembre 2014. voir : www.Gallup-international.com
Jacques Sapir
Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s’est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.
Comité Valmy
InfoGnomon
Ainsi le veut la Constitution : il y aura des élections anticipées en Grèce, qui devraient se tenir le 25 janvier.
L’incapacité du Premier-Ministre Samaras à faire élire son candidat à la Présidence de la République (qui se fait en Grèce à une majorité qualifiée de 180 députés au parlement) a sonné l’heure des comptes.
Elle vient aussi solder une politique inhumaine imposé par ce même Samaras aux ordres de la « Troïka », soit, rappelons le la Banque Centrale européenne, la Commission Européenne et le FMI. Elle solde de plus une politique des faux-semblants de ce gouvernement aux ordres, qui n’a ni rétabli les finances publiques (une partie des ressources fiscales sont « fictives » car la population n’a plus les moyens de les payer) ni provoqué un retour de la croissance. Il annonçait un « glorieux » 0,7% alors que le pays a connu une récession de près de -25% depuis 2009.
Ces élections sont un cas d’école de l’ingérence toujours plus pesante de l’Union européenne dans la vie démocratique des peuples. Diverses voix autorisées ont déjà menacé les électeurs grecs des pires maux s’ils votaient « mal ». Et, on le sait, SYRIZA, le parti de la gauche radicale, est en tête à ces élections. On a même vu, oh honte faite à tous les français, Pierre Moscovici, qui fut un déplorable ministre des finances se muer en un exécrable représentant de la Commission Européenne et aller à Athènes pour expliquer aux Grecs comment ils devaient voter. Il est vrai que c’est une habitude chez ce triste sire que de mentir sur commande ; il nous en avait donné la preuve déjà en 2012. Le FMI, par ailleurs a immédiatement suspendu son programme d’aide à la Grèce. Que l’on ne vienne plus nous parler de « démocratie » de la part des grandes organisations, soit européennes, soit internationales.
La situation de la Grèce peut se résumer en deux graphiques. Le premier indique l’évolution du PIB, comparé à 2007. L’effondrement du PIB est réellement spectaculaire et implique un appauvrissement d’une grande part de la population.
Graphique 1
Source : Base de données du FMI
Mais il y a pire. Si l’on regarde l’investissement, que ce soit calculé en pourcentage du PIB ou calculé en euros constants, on constate un effondrement spectaculaire. En valeur, nous sommes en 2014 à 64% de la valeur des investissements de 1999. Cet effondrement, qui va bien au-delà d’une correction par rapport aux années 2000, marquée par les dépenses liées aux Jeux Olympiques, a plusieurs implications. Tout d’abord une destruction du capital par non-renouvellement, qui va poser un problème redoutable à la Grèce dans les années à venir. Faute d’entretien les infrastructures, qu’elles soient privées ou publiques, vont se dégrader ce qui va entraîner une montée des coûts d’entretien d’ici la fin de la décennie. Par ailleurs, la productivité du travail, non soutenue par un investissement qui fait défaut, va continuer à baisser, rendant plus que problématique le retour à une compétitivité de l’économie grecque. Seule, une baisse des salaires ou une dévaluation permettrait de maintenir les gains de productivité qui ont été payés aux prix fort par la population grecque.
Graphique 2
Source : banse de données du FMI
On voit qu’à l’évidence ce n’est pas d’un prolongement de la politique d’austérité meurtrière (ou, l’austérité tue, le taux de mortalité a fortement augmenté en Grèce ces dernières années) dont le pays a besoin. Il lui faut d’urgence une politique de relance par l’engagement massifs de dépenses publiques. Mais, c’est ici que se noue le conflit entre un possible gouvernement de SYRIZA et les autorités de la Troïka. Le programme de SYRIZA, que les sondages donnent actuellement largement en tête, prévoit entre autres les mesures suivantes :
•Moratoire sur les dettes des ménages et des petits entrepreneurs aux banques ;
•Hausse du salaire minimum ;
•Annulation de près des deux tiers de la dette publique considérée comme « injuste ».
•Instauration d’une « clause de développement » garantissant que les sommes dépensées pour une relance de l’économie ne seront pas comptabilisées dans le budget.
•Recapitalisation des banques (dont la solvabilité est problématique), sans que les sommes en question soient comptabilisées dans la dette publique du pays.
Ce programme est contradictoire avec les règles européennes. Il ne faut pas s’en étonner. Aujourd’hui, 52% des grecs interrogés considèrent qu’ils se sentent plutôt étrangers aux idéaux européens[1]. Dans ce sondage, réalisé par l’institut Gallup International, 52% des personnes interrogées considèrent qu’il serait préférable de retourner à la monnaie nationale (la Drachme) et seulement 32% considèrent qu’il faudrait conserver l’Euro. C’est un point important, et il est clair que les résultats de ce sondage sont intégrés par les diverses forces politiques grecques. Il entrainera une dynamique tant économique que politique mettant à mal les structures européennes qui imposent aux peuples cette politique d’austérité, et en premier lieu, l’Euro. Car, si l’on va à la crise entre la Grèce et les institutions européennes, les taux d’intérêts monteront immédiatement, provoquant une nouvelle crise en Italie. Or, dans ce pays, trois partis, le Movimente Cinque Stelle, Forza Italia et la Ligue du Nord ont pris leur distance, et parfois de très grandes distances, avec le dogme de l’Euro. SYRIZA le sait qui, tenant compte des pressions scandaleuses sur la vie politique grecque par les institutions européennes, ruse avec ce programme. Mais, si Tsypras est élu, fort de la légitimité d’une élection, seule légitimité qui compte et qui soit, il fera entendre sa voix.
Tous les européens qui sont aujourd’hui révoltés à juste titre, tant économiquement que politiquement, par les agissements anti-démocratiques de la Commission et par les politiques d’austérité doivent se réjouir de cette élection. La chouette, animal emblématique d’Athéna, la déesse de la ruse et de la sagesse, doit manger le serpent Euro. Mais ils doivent, en même temps, envoyer un message clair à Tsypras et à SYRIZA : vous devez appliquer votre programme si vous êtes élus. Une trahison de plus serait une trahison de trop. Nous comprenons que vous rusiez jusqu’à l’élection. Mais après, il faudra appliquer votre programme, et tout votre programme. Ce qui se joue en Grèce aura des répercussions dans toute l’Europe, et en France en particulier. Elles peuvent être positives, si la lutte s’engage entre les peuples et les institutions européennes. Elles peuvent être aussi négatives dans le cas d’une nouvelle trahison. Car, ce qui se profile derrière la Grèce, c’est le problème de l’Italie et de l’Espagne. Oui, l’avenir de l’Europe et de la démocratie se jouera à Athènes, ce qui sera hautement symbolique.
[1] Gallup International
http://www.orbinternational.com/perch/resources/europeanattitudesresults.pdf, Décembre 2014. voir : www.Gallup-international.com
Jacques Sapir
Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s’est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.
Comité Valmy
InfoGnomon
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